Contrefaçon : tout le préjudice, rien que le préjudice (et plus encore?)
L’évaluation du préjudice en matière de contrefaçon est une étape déterminante d’une action judiciaire et l’on pensait avoir tout dit sur le sujet. En effet, c’est sur la base de cette évaluation qu’est calculé le montant de l’indemnisation versée à la victime et cette indemnisation, dans le cas d’une action devant les juridictions civiles, est le seul montant payé par le contrefacteur (avec les frais et dépens). Ainsi si le préjudice est moindre, l’indemnisation est moindre et le contrefacteur s’en tire « à bon compte ».
Le principe en France est aujourd’hui celui de la réparation intégrale du préjudice subi. Celle-ci est donc limitée à ce seul préjudice. Il est ainsi réparé selon la formule consacrée : « tout le préjudice mais rien que le préjudice ».
A cette fin, le Code de la propriété intellectuelle prévoit divers critères permettant de calculer ce préjudice :
- les conséquences économiques négatives (manque à gagner et pertes subis) ;
- le préjudice moral ;
- les bénéfices réalisés par le contrefacteur.
Les magistrats en charge de l’affaire prennent également en compte les investissements réalisés par les titulaires de droits et la masse contrefaisante.
Afin de justifier de ces éléments, il est possible d’avoir recours à des constats d’huissiers ou encore de mener des opérations de saisie contrefaçon qui permettent d’obtenir des éléments comptables plus précis de la part du présumé contrefacteur.
Néanmoins de tels éléments chiffrés sont souvent difficiles récolter, et in fine, l’appréciation reste l’apanage des magistrats qui selon les travaux du Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques craindraient de « trop réparer »*…
Récemment toutefois, de nouvelles perspectives ont été amenées dans le débat (et peut être à terme se traduiront dans une loi) en vue de l’amélioration de la lutte contre la contrefaçon et l’évaluation du préjudice, notamment au travers du rapport des députés Bournazel et Blanchet devant l’Assemblée Nationale le 9 décembre dernier, et du « Plan contrefaçon 2020/2021 » présenté par les services de douanes en février dernier.
Deux grands axes sont notamment identifiés.
1- Faire changer le regard du grand public sur la contrefaçon
Le plan contrefaçon appelle à juste titre à sensibiliser les consommateurs, souvent sous informés.
Il existe actuellement des réponses judiciaires à cette problématique avec par exemple, la possibilité, actée par la jurisprudence, de solliciter du tribunal qu’une décision de condamnation soit publiée sur le site Internet du contrefacteur.
Un point du rapport des douanes prévoit également le développement de nouvelles compétences afin de mieux poursuivre l’identification et le démantèlement de filières d’assemblages sur le territoire national (section « protection du consommateur et de l’environnement, chargée notamment des produits dangereux pour la santé et la sécurité des personnes physiques ») et le rapport présenté à l’Assemblée Nationale propose également d’obliger les réseaux sociaux à afficher des messages de sensibilisation à la contrefaçon .
2- Réviser le cadre législatif afin de renforcer la réponse judiciaire en matière de contrefaçon
La proposition 9 du rapport présenté à l’Assemblée Nationale prévoit d’« évaluer les décisions rendues par les tribunaux en matière de contrefaçon en s’intéressant particulièrement à l’analyse des dommages-intérêts et aux condamnations aux dépens ». Cette évaluation permettrait ainsi d’établir une « grille chiffrée » des condamnations prononcées en matière de contrefaçon afin, d’une part, de renforcer les réponses judiciaires et, d’autre part, d’espérer créer un effet dissuasif sur les contrefacteurs.
En outre, la proposition 10 prévoit d’« instituer dans le Code de propriété intellectuelle une amende civile à l’encontre du vendeur » permettant ainsi en plus de l’indemnisation classique de la victime, d’envoyer un message fort en sanctionnant le contrefacteur au-delà du préjudice.
L’évaluation du préjudice est donc une question clé : les différents acteurs de la propriété intellectuelle le savent depuis bien longtemps, les pouvoirs publics s’en emparent désormais et deviennent force de propositions, ce dont on ne peut que se réjouir !
*Source : document du Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques « Présentation de la Mission d’évaluation de la lutte contre la contrefaçon »
Emmanuelle Hoffman
Avocat aux Barreaux de Paris et du Québec
Spécialiste en droit de la propriété intellectuelle
ehoffman@cabinet-hoffman.com
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